Écologie et anticapitalisme: un mariage heureux?


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Partout, des mouvements écologistes émergent et s’accordent sur le constat du changement climatique. Mais une question les déchire: « capitalisme » peut-il s’écrire en vert?

«L’espèce humaine est en guerre contre la nature» déclarait Antonió Guterres quelques jours avant l’ouverture de la COP25. En effet, le changement climatique est d’une simplicité biblique: chaque molécule de gaz à effet de serre réchauffe un peu plus l’atmosphère. Cette guerre est donc une course contre la montre. Le problème ne fait qu’empirer et la marche du temps nous rapproche du moment fatidique où nous aurons dépassé le budget carbone.

Pour certain.e.s, c’est le dogme capitaliste qui provoque cette situation. Il est donc nécessaire, selon elleux, de combattre celui-ci. Pour d’autres, le problème est surtout technique et c’est donc la technologie qui le résoudra. J’ai longtemps fait partie du premier groupe, et je vais tenter de vous expliquer pourquoi je ne défends plus aucune de ces deux positions.

Selon moi, une erreur commune chez les personnes qui combattent le capitalisme est de penser que celui-ci est conçu pour atteindre je ne sais quel but. Ce n’est pas le cas. Le capitalisme n’est absolument pas réfléchi pour atteindre un objectif. Son organisation se contente de favoriser la compétition avec pour seule limite l’État pseudo-démocratique dont le rôle est d’éviter que cette anarchie économique ne s’autodétruise. Pourquoi ne pas se servir de cet état de fait?
En effet, ce sont les contraintes appliquées au marché qui rendent un produit plus concurrentiel qu’un autre. Une manière d’agir peut donc consister à cibler les entreprises qui gagneraient des parts de marché avec un durcissement d’une contrainte écologiste.

Un exemple concret : les centrales électriques à gaz émettent environ 490g de CO2/kWh contre environ 1000g pour celles au charbon. Une taxe carbone augmente donc le prix de ces deux types d’énergie. Cependant, celui du gaz croît deux fois moins que celui du charbon. Les entreprises gazières ont donc intérêt à demander une augmentation de la taxe carbone afin que le gaz devienne compétitif. C’est ce qu’a remarqué le think tank The Shift Project qui a convaincu le PDG de Total, entreprise pétro-gazière française, de militer pour une augmentation de la taxe carbone. C’est ainsi qu’un marchand d’énergies fossiles s’est mis à appuyer de toute la force de son lobby sur la commission européenne pour augmenter la taxe carbone. Et c’est aussi ainsi que le prix du carbone en Europe est passé de 4,79€ la tonne en 2013 à plus de 25€ actuellement.

Certes, cette action n’est pas suffisante, mais elle montre bien comment un mouvement organisé peut se servir de la compétition pour atteindre des objectifs écologistes. Devenons les maîtres d’orchestres du requiem du libéralisme. Pourquoi ne pas choisir des lobbys triés sur le volet avec lesquels nous ferions temporairement alliance? Certes, ce genre de changement stratégique représente un virage à 180°, mais la remise en question n’est-elle pas la marque de l’intelligence? Après tout, n’est-ce pas historiquement l’alliance des blocs communistes et capitalistes qui, dans une lutte commune, ont pu renverser le fascisme en Europe?
Dans cette course contre la montre, nous ne disposons pas du luxe d’un changement de système avant qu’il ne soit trop tard. Là où la nature est bien plus cruelle que l’économie, c’est que ses règles ne sont ni négociables, ni transgressables, ni combattables. Une fois notre budget carbone épuisé, nous avons perdu. Ni plus, ni moins.

C’est donc dans ce contexte que notre combat s’inscrit. Pour chaque action, nous devons nous demander non seulement si elle est pertinente, mais en plus si elle s’inscrit dans une stratégie globale compatible avec la préservation de l’environnement dans le temps imparti. C’est d’ailleurs la base de la critique décroissante: toute action doit être pensée dans les limites du monde, et parfois ces limites nous commandent des actions auxquelles nous sommes réticent.e.s. C’est exactement cela la décroissance; la réduction de notre capacité à agir sur le monde.
Quand à moi qui suis un fervent anticapitaliste, je me console par la phrase d’Yves Cochet : «Ça n’est pas la lutte des classes qui viendra à bout du capitalisme mais la géologie». Ne perdons pas notre énergie à combattre un système voué à disparaître dans les années ou, au plus, les décennies à venir. Concentrons nos forces sur la construction d’un après, mais surtout, concentrons nos luttes sur un combat qui dépasse de très loin les basses considérations humaines que sont les systèmes économiques et politiques ; la lutte pour le vivant.

Fabrice Bourquenoud, militant de la grève du climat Fribourg, Etudiant en biologie et science de l’environnement

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